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Le généticien François Parcy éclaircit « l’abominable mystère des fleurs »

​Le spécialiste du développement floral François Parcy a reçu la médaille d’argent du CNRS. Il nous transporte sur les traces de l’aventure évolutive des plantes à fleurs, redoutables guerrières malgré leurs délicates corolles.

Publié le 9 juillet 2022
C’est un chercheur qui s’épanouit au milieu des corolles, des épis et des choux. Allure sportive et souriante, François Parcy creuse son sillon dans le champ du développement floral, à l’université de Grenoble-Alpes (CNRS-CEA-Inrae). Ses brassées d’expériences et ses moissons de découvertes lui ont valu la médaille d’argent du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), en 2022.

Mais le généticien fait aussi son miel de partager son butin floral avec autrui. « Les fleurs, tout le monde les aime et les admire. Ce sont des objets privilégiés pour parler de science, de biologie moléculaire, de génétique et d’évolution », s’enthousiasme-t-il, une pointe de soleil dans l’accent. Avec une passion entraînante, ce grand marcheur nous emporte plus de deux cents millions d’années en arrière, sur les traces d’une saga méconnue : celle des plantes à fleurs. Cette palpitante aventure évolutive lui a inspiré un livre, L’Histoire secrète des fleurs (Editions Humensciences, 2019). Livre qui vient d’être adapté en un documentaire, L’Abominable Mystère des fleurs (coécrit par Clément Champiat et François Tribolet, France 5, 2022, disponible en replay).

« François est un excellent orateur ; plus que cela, c’est un vrai conteur, témoigne Teva Vernoux, biologiste au CNRS-ENS de Lyon. Quand il parle des fleurs, il captive non seulement le grand public mais aussi ceux qui connaissent le sujet. »

Ses conférences, François Parcy les commence volontiers par des vers de Baudelaire : « Heureux celui (...) Qui plane sur la vie, et comprend sans effort/Le langage des fleurs et des choses muettes ! » (Les Fleurs du mal, 1857). Mais c’est pour mieux nous convaincre, ensuite, que ce langage poétique n’est qu’un leurre – un artifice de séduction. Il permet aux fleurs, ces enjôleuses, de dédier leurs appâts – formes, parfums et couleurs – non pas à nos yeux et à nos narines, mais à ceux des pollinisateurs, leurs si précieux alliés, qu’elles attirent ainsi dans leurs filets. Et le chercheur de lister « la somme d’innovations » qui ont permis à ces « championnes de l’adaptation » de supplanter leurs rivales : outre leurs armes de séduction massive à destination des espèces butineuses, elles peuvent miser sur « un génome et des cellules de taille réduite, une photosynthèse plus efficace... » Moyennant quoi, ces graciles créatures ont conquis le globe, formant plus de 90 % des espèces végétales actuelles.

Faire jouer son intuition

Si le déterminisme des plantes laisse peu de place au libre arbitre, les trajectoires humaines, elles, semblent – un peu – plus ouvertes. « Mes parents ont arrêté très tôt leurs études, j’entre donc dans la catégorie des “transfuges de classe”, confie François Parcy. La beauté du système éducatif français, c’est de permettre de ne pas toujours reproduire le schéma familial. » Pas de déterminisme dans le chemin qu’il a suivi, vraiment ? On notera que sa mère était fleuriste – cela ne s’invente pas...

Il grandit à la campagne, entre Drôme et Vaucluse, mais s’oriente vers des classes préparatoires scientifiques. Tout en optant, choix ô combien visionnaire, pour le lycée du Parc, à Lyon. Un peu plus tard, à l’Ecole polytechnique, il se délectera des cours de biologie. « J’ai fait mon stage de fin d’études en astrophysique, à Munich, et, au dernier moment, j’ai fait un stage supplémentaire à l’Institut des sciences végétales de Gif-sur-Yvette. » Une révélation qui le fera bifurquer des objets célestes aux objets végétaux. « Sortir des sciences dures pour semer des graines et broyer des feuilles a été une bouffée d’air, confie-t-il. J’adorais la physique statistique, mais, avec la biologie, je pouvais faire jouer mon intuition. » Il ne regrettera jamais ce « grand virage », même si la complexité du vivant finira par le renvoyer à ses équations, la bio-informatique devenant incontournable.

« La vision évolutive de François m’a toujours inspiré », souffle Teva Vernoux. De fait, « les fleurs n’ont pas toujours existé », rappelle François Parcy, avant de céder la parole à un maître, Charles Darwin (1809-1882). Pour le père de la théorie de l’évolution, les espèces évoluent par étapes graduelles. Mais les plantes à fleurs défiaient sa théorie : leur apparition et leur diversification soudaines, sans laisser de traces d’étapes graduelles, relevaient, pour Darwin, d’un « abominable mystère ». L’expression inspirera des générations de chercheurs.

« Depuis quelques années, la science grignote de tous côtés cet “abominable mystère” »,raconte François Parcy. Son équipe s’est intéressée à un « E.T. végétal », Welwitschia mirabilis. « Cette plante informe, qui peut vivre deux mille ans, pousse dans les déserts de Namibie et d’Angola. Elle appartient au groupe des gymnospermes : apparus sur Terre bien avant les plantes à fleurs, il y a trois cent cinquante millions d’années, ils avaient inventé la graine mais pas encore la fleur. Aujourd’hui représentés par les conifères, ils disposent d’organes sexuels séparés : d’un côté, des cônes mâles, de l’autre, des cônes femelles. A charge pour le vent de transporter le pollen des premiers aux seconds. » François Parcy note au passage : « Ce n’est pas le plus efficace pour la fécondation. »

Bizarrerie de la nature

Quid de notre E.T. végétal ? Comme les conifères, Welwitschia mirabilis possède des cônes mâles et femelles séparés. Mais ses cônes mâles sont une bizarrerie de la nature : ils recèlent des ovules stériles épars, « comme une tentative avortée d’inventer une fleur bi‐sexuelle », s’amuse le généticien. Son équipe a montré, en 2017, que cette plante est équipée des mêmes familles de gènes que celles qui gouvernent la formation des fleurs, avec la même hiérarchie. Autrement dit, les ancêtres des plantes à fleurs étaient déjà équipés de la boîte à outils génétique qui permettra, bien plus tard, de construire une partie de la fleur. « Les premières plantes à fleurs n’ont pas eu besoin de tout inventer. »

« La science des fleurs vit un âge d’or », se réjouit François Parcy. Parmi ses percées récentes, à mesure que les chercheurs exhument de nouveaux fossiles végétaux et revoient leurs calculs théoriques, les dates d’apparition des plantes à fleurs ne cessent de reculer. « Mon livre d’il y a trois ans est déjà obsolète », soupire le généticien. Les plantes à fleurs, plus anciennes qu’on ne l’imaginait, ont pris leur temps pour se ramifier. « Leur apparition et leur diversification n’ont pas été si brutales ! », relève François Parcy.

Parce que les maths ne lâchent pas si facilement ceux qui y ont goûté, le polytechnicien y est revenu. Mais par un détour inattendu : les choux. En juillet 2021, son équipe révélait avec l’Inria, dans la revue Science, le secret de leurs spectaculaires formes fractales. Leur architecture infiniment morcelée résulte du destin contrarié d’un bourgeon : « Il entame d’abord un trajet floral, puis il perd sa route pour se comporter comme une tige », explique François Parcy. Tige qui à son tour va tenter de produire une fleur, en vain, et ainsi de suite. Cette réaction en chaîne est le fruit d’une sourde lutte d’influences génétiques.

Ce microcosme végétal est donc loin d’être fleur bleue. Mais le monde de la recherche botanique ? « En France, la communauté de la biologie végétale est très soudée », témoigne François Parcy. Il a malgré tout vécu deux « expériences difficiles », deux épines au pied de ce fou d’escalade et de ski de randonnée en famille. La première, il y a deux ans, fut « la trahison absolue » d’une collègue travaillant aux Etats-Unis : « Nous nous étions engagés à publier ensemble, mais elle nous a coupé l’herbe sous le pied. » La seconde a fait suite à son travail publié, en 2021, dans Science : un Britannique et un Canadien « très éminents » ont contacté l’éditeur, accusant l’équipe française de fraude. Une attaque au final infondée, mais qui laissera le chercheur « endolori ». Heureusement, son jardin secret – là où poussent les « gènes architectes » des plantes – lui réserve encore de belles surprises...

Par et avec l'autorisation de Florence Rosier.
Article paru sur le site internet de Le Monde le 09 juillet 2022.