Au cours du développement embryonnaire et du renouvellement permanent des organes, les cellules sont soumises à des lois d’organisation spatiale qui dictent l’architecture des tissus. Ces lois sont responsables du bon fonctionnement des organes. Depuis de nombreuses années, les embryologistes ont observé et décrit les mouvements morphogénétiques in situ, mais l’impossibilité d'intervenir expérimentalement sur ces processus et de mesurer les forces engagées a empêché de formuler les lois mécaniques sous-jacentes.
Au sein des tissus, les cellules adhèrent et exercent des forces sur leurs voisines et sur la matrice extra-cellulaire qui les entoure. Ces deux types de forces guident la morphogenèse des tissus [Papusheva and Heisenberg,
2010]. Le nombre de cellules et la complexité de l’architecture de la matrice extra-cellulaire (MEC) sont tels que, même si ces forces étaient mesurables
in situ, elles seraient impossibles à distinguer. Leurs contributions respectives à la morphogenèse des tissus ne seraient donc pas identifiables.
À l’aide d’un système minimal ayant la propriété de reproduire, dans des conditions simplifiées à l’extrême, des mécanismes complexes à l’aide d’un minimum de composants, l'équipe CytoMorphoLab de notre laboratoire, en collaboration avec d'
autres laboratoires, commence à formuler dans cette nouvelle étude ces lois morphogénétiques
[1]. En plaçant deux cellules sur une microstructure à base de MEC, ces chercheurs ont pu reconstituer les bases élémentaires impliquées dans la construction des tissus : adhérence avec une cellule voisine et avec la MEC. À l’aide de techniques de micro-fabrication, ils ont ensuite été en mesure de modifier la géométrie de la MEC et ont mis à jour son rôle dans la régulation de la position des cellules et des forces qu’elles exercent l’une sur l’autre. Ces chercheurs ont ainsi observé que lorsque deux cellules sont entourées de façon homogène par la MEC, elles adoptent un mouvement régulier de rotation coordonnée (
Figure 1).
Figure 1 :: L'image de gauche montre le micropattern fait de fibronectine. La séquence d'images montre les deux cellules cellules adoptant un équilibre stable et ne bougent pas.
Ce type de comportement est connu des embryologistes pour son implication dans la mise en place des axes de polarité et l’élongation de l’embryon au tout début de son développement [Gerhart
et al.,
1989, ; Haigo
et al.,
2011]. Au cours du développement, la MEC ne reste pas longtemps homogène et son remodelage contribue à l’architecture finale du tissu [Rozario
et al.,
2010]. En effet, les paires de cellule se sont révélées extrêmement sensibles à des modifications infimes de la géométrie de la MEC qui les entoure. Les cellules tendent à placer le plan de contact le long duquel elles s’accrochent l’une à l’autre dans les zones où il y a peu ou pas de MEC. La taille et la position de ces zones régulent directement le niveau de stabilité de ce plan de contact. Certaines géométries comme la forme en H (
Figure 2) permettent même de stopper complètement le mouvement de rotation et de guider les cellules dans une configuration parfaitement stable.
Figure 2 : L'image de gauche montre le micropattern fait de fibronectine. La séquence d'images montre les cellules adoptant un équilibre stable et ne bougeant pas.
À l’aide d’une technique de microstructuration de support déformable développée précédemment dans notre laboratoire
[1], ces chercheurs ont mesuré les forces que les cellules exercent sur la MEC et sur leur voisine (
Figure 3).
Figure 3 : Équilibre mécanique dans une paire de cellules sur un patron de matrice extra-cellulaire en forme de H. La jonction inter-cellulaire est marquée en vert, le cytosquelette d’actine en blanc. La couleur et l’orientation des flèches indiquent le champ de force exercé par les cellules sur le support.
Ils ont ainsi été en mesure de proposer un modèle physique de régulation de la position des cellules en fonction de la géométrie de la MEC basé sur la minimisation de l’ensemble des contraintes dans la structure multicellulaire.
Le contrôle de l’organisation spatiale des cellules par la matrice extra-cellulaire pourrait être largement utilisé en médecine régénératrice et ingénierie des tissus. La méthode ainsi mise au point a fait l’objet d’un dépôt de brevet
[3]. Par ailleurs, les dysfonctionnements de ces processus morphogénétiques contribuent à la formation des tumeurs et à leur évolution en métastases [Tanner
et al.,
2012]. Les supports micro-fabriqués et les géométries identifiées offrent donc la capacité de détecter, chez les cellules d’un patient ou dans des cellules traitées par une drogue, des éventuels défauts d’organisation dans l’espace, ce qui a également fait l’objet d’un dépôt de brevet
[4]. Les applications potentielles de valorisation issues de ces travaux constituent le socle du partenariat avec
CYTOO et
Cellectis bioresearch au sein du projet ETICS subventionné par l’OSEO.
Autres laboratoires impliqués : laboratoire Biologie du Cancer et de l'Infection de notre institut, laboratoire de Thermodynamique des Petits Systèmes de l'Institut Néel.